(pour ce courrier, j’ai envie de te tutoyer)
On doit se causer, jeudi ou vendredi, et du coup cette nuit je me suis mis dans ta peau. Ça me vient comme ça, des fois, des élans d’empathie, avant de croiser un interlocuteur : à quoi il songe ? comment le convaincre ?
Tu le sais : même bricolée, même rafistolée, ton nom est lié à une loi d’infamie. Une étape de plus, pas la première, sans doute pas la dernière, dans la grande régression déguisée en « modernisation ». Ce texte, tu ne l’as pas écrit, tu ne l’as pas voulu, et c’est pourtant toi qui le portes aujourd’hui comme une croix. C’est ce connard de Valls (je ne mets que « connard », mais tu penses bien pire) qui te l’a imposé. Et depuis, tu subis une humiliation publique, ministre qui obéit à Matignon comme un chien bien brimé. Alors, ne serait-ce que par dignité : pourquoi ne pas démissionner ?
Ce serait, il est vrai, un saut dans le vide.
Sans polémiquer, mais j’ai rapidement regardé votre fiche Wikipédia (j’ignore pourquoi, mais je reviens au « vous »). Étudiante en droit, titulaire d’un DESS de science politique, à 23 ans, en 2001, vous entrez à la mairie de Paris, adhérez au Parti socialiste l’année suivante, devenez adjointe au maire à 30 ans, secrétaire d’État à la Ville à 36 ans, ministre du Travail à 37. L’ascension est rapide. La chute n’en serait que plus brutale.
Je suis là pour vous rassurer.
Claquer la porte, pensez-vous, et ce serait la fin de votre carrière ? Au contraire : il y a une vie derrière, une vie bien plus chouette, une vie qui s’ouvre à vous.
Vous le sentez, en ce moment, combien vous étouffez derrière les portes de votre cabinet. C’est l’asphyxie. Vous étiez fière de goûter à ça, aux moquettes épaisses, aux huissiers qui saluent, aux ors de la République. C’est bon maintenant, vous avez vu. Vous en connaissez l’ennui. Vous dépérissez.
Vous n’avez pas encore quarante ans, et dans cette atmosphère fétide, vous fanez trop vite. Demeurez sage, obéissante au Premier ministre, et quel avenir se dessine à vous ? De grouiller dans les calculs d’appareil ? De dépendre des caprices d’un Président ? De quémander une circonscription ? De ramper pour un parachutage ? D’épouser la médiocrité de votre parti ? Misères des fausses grandeurs !
Cette servilité, alors qu’une aventure s’ouvre à toi (je repasse au tutoiement des camarades). Il est encore temps. La rue sent ton malaise, elle ne te déteste pas complètement. Rejoins-la ! Cours dehors ! Viens respirer un grand bol d’air ! Tu peux quitter la scène sous les hourrah, bientôt ce sera sous les huées. Fais ce geste, et tu entreras dans les mémoires et dans l’histoire, bien plus sûrement qu’avec un strapontin éjectable au gouvernement.
Sois des nôtres, des manifs, des réunions dans les bistros, des AG à la Bourse du Travail, aide-nous à réinventer cette démocratie qui part en lambeaux. Démissionne et c’est promis : je t’attendrai sur le trottoir avec des fleurs. Sors la tête haute, par la grande porte, et j’en fais le pari : des citoyens, des lycéens, te feront une haie d’honneur. Et cette image fera le tour des télés et du monde.
Je ne te dis pas : « Renonce à tes ambitions », mais bien : « Élève tes ambitions. Démissionne. » Car toi aussi Myriam, tu vaux mieux que ça.
Le dilemme devant toi n’en est même pas : écoute un instant, un instant seulement, ta conscience, cette petite voix intérieure qui murmure et qui crie, qui te cause tant d’insomnies. Tu le sais, au fond de toi tu le sais : il n’y a pas à hésiter. Plonge. Plonge dans l’inconnu pour trouver du nouveau.
A bientôt,
François Ruffin