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21.5.21

POESIE - Charles Baudelaire - A une heure du matin

Enfin ! seul ! On n’entend plus que le roulement de quelques fiacres attardés et éreintés. Pendant quelques heures, nous posséderons le silence, sinon le repos. Enfin ! la tyrannie de la face humaine a disparu, et je ne souffrirai plus que par moi-même.

Enfin ! il m’est donc permis de me délasser dans un bain de ténèbres ! D’abord, un double tour à la serrure. Il me semble que ce tour de clef augmentera ma solitude et fortifiera les barricades qui me séparent actuellement du monde.

Horrible vie ! Horrible ville ! Récapitulons la journée : avoir vu plusieurs hommes de lettres, dont l’un m’a demandé si l’on pouvait aller en Russie par voie de terre (il prenait sans doute la Russie pour une île) ; avoir disputé généreusement contre le directeur d’une revue, qui à chaque objection répondait : « — C’est ici le parti des honnêtes gens, » ce qui implique que tous les autres journaux sont rédigés par des coquins ; avoir salué une vingtaine de personnes, dont quinze me sont inconnues ; avoir distribué des poignées de main dans la même proportion, et cela sans avoir pris la précaution d’acheter des gants ; être monté pour tuer le temps, pendant une averse, chez une sauteuse qui m’a prié de lui dessiner un costume de Vénustre ; avoir fait ma cour à un directeur de théâtre, qui m’a dit en me congédiant : « — Vous feriez peut-être bien de vous adresser à Z… ; c’est le plus lourd, le plus sot et le plus célèbre de tous mes auteurs, avec lui vous pourriez peut-être aboutir à quelque chose. Voyez-le, et puis nous verrons ; » m’être vanté (pourquoi ?) de plusieurs vilaines actions que je n’ai jamais commises, et avoir lâchement nié quelques autres méfaits que j’ai accomplis avec joie, délit de fanfaronnade, crime de respect humain ; avoir refusé à un ami un service facile, et donné une recommandation écrite à un parfait drôle ; ouf ! est-ce bien fini ?

Mécontent de tous et mécontent de moi, je voudrais bien me racheter et m’enorgueillir un peu dans le silence et la solitude de la nuit. Âmes de ceux que j’ai aimés, âmes de ceux que j’ai chantés, fortifiez-moi, soutenez-moi, éloignez de moi le mensonge et les vapeurs corruptrices du monde, et vous, Seigneur mon Dieu ! accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi-même que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise !

Charles Baudelaire, Petits poèmes en prose, 1869

17.5.21

TEXTES - Chute de la mort à la vie


Depuis une immense altitude, les minutes me semblent des heures, je plane. De tout là-haut je vous vois ainsi que de vertes prairies toutes petites à côté de la plage et de la mer immense et ses vagues minuscules en comparaison de leur écume...

Et je vogue parmi des alysées tièdes et doux...

Quel bonheur ; ainsi suis-je arrivé au Paradis ?!

Pour cela il eut fallu que je fusse mort...

Mon esprit est embrouillé ; il n arrive plus à discerner entre le sommeil et la mort...

Et moi je vogue toujours ; je plane parmi les étoiles ; tout va bien.

Au loin je vois la Terre et un quart de soleil ; tout va bien...

Mais soudain, je ne vole plus ; je tombe à une vitesse vertigineuse vers le bleu de l'atmosphère terrestre ; plus que 10 km avant contact...9, 7, 5,... Le sol se rapproche très vite...3, 2...

100 mètres et je me désintegre...

L'impact a du être monstrueux mais je n'ai rien senti.

Cette fois-ci je ne rêve plus ; je vogue vraiment heureux dans la vie après la vie.

17-05-2021

JoanMira

15.5.21

HUMOR - Gato Fedorento - Feno da Galileia



HUMOUR - Ro & Cut - ça m'inerve

 

"ça m'inerve"

POESIE - Victor Hugo - La tombe dit à la rose - (1837)



La tombe dit à la rose:
- Des pleurs dont l'aube t'arrose
Que fais-tu, fleur des amours?
La rose dit à la tombe:
- Que fais-tu de ce qui tombe
Dans ton gouffre ouvert toujours?

La rose dit: - Tombeau sombre,
De ces pleurs je fais dans l'ombre
Un parfum d'ambre et de miel.
La tombe dit: - Fleur plaintive,
De chaque âme qui m'arrive
Je fais un ange du ciel!

Victor Hugo

9.5.21

POESIE - Théophile Gautier - Absence


Reviens, reviens, ma bien-aimée !
Comme une fleur loin du soleil,
La fleur de ma vie est fermée
Loin de ton sourire vermeil.

Entre nos cœurs tant de distance !
Tant d'espace entre nos baisers !
Ô sort amer ! Ô dure absence !
Ô grands désirs inapaisés !

D'ici là-bas, que de campagnes,
Que de villes et de hameaux,
Que de vallons et de montagnes,
À lasser le pied des chevaux !

Au pays qui me prend ma belle,
Hélas ! Si je pouvais aller ;
Et si mon corps avait une aile
Comme mon âme pour voler !

Par-dessus les vertes collines,
Les montagnes au front d'azur,
Les champs rayés et les ravines,
J'irais d'un vol rapide et sûr.

Le corps ne suit pas la pensée ;
Pour moi, mon âme, va tout droit,
Comme une colombe blessée,
S'abattre au rebord de son toit.

Descends dans sa gorge divine,
Blonde et fauve comme de l'or,
Douce comme un duvet d'hermine,
Sa gorge, mon royal trésor ;

Et dis, mon âme, à cette belle :
« Tu sais bien qu'il compte les jours,
Ô ma colombe ! À tire d'aile
Retourne au nid de nos amours. »

7.5.21

POESIE - François de Malherbe - Stances sur la mort de sa fille - 1599

 

Ta douleur, Du Perrier, sera donc éternelle ?
Et les tristes discours
Que te met en l'esprit l'amitié paternelle
L'augmenteront toujours ?


Le malheur de ta fille au tombeau descendue
Par un commun trépas,
Est-ce quelque dédale où ta raison perdue
Ne se retrouve pas ?

Je sais de quels appas son enfance était pleine,
Et n'ai pas entrepris,
Injurieux ami, de soulager ta peine
Avecque son mépris.

Mais elle était du monde, où les plus belles choses
Ont le pire destin ;
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L'espace d'un matin.

Puis quand ainsi serait que, selon ta prière,
Elle aurait obtenu
D'avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,
Qu'en fût-il avenu ?

Penses-tu que plus vieille en la maison céleste
Elle eût eu plus d'accueil,
Ou qu'elle eût moins senti la poussière funeste
Et les vers du cercueil ?

Non, non, mon Du Perrier ; aussitôt que la Parque
Ôte l'âme du corps,
L'âge s'évanouit au-deçà de la barque,
Et ne suit point les morts.

Tithon n'a plus les ans qui le firent cigale ;
Et Pluton aujourd'hui,
Sans égard du passé, les mérites égale
D'Archemore et de lui.

Ne te lasse donc plus d'inutiles complaintes :
Mais, sage à l'avenir,
Aime une ombre comme ombre, et des cendres éteintes
Eteins le souvenir.

C'est bien, je le confesse, une juste coutume
Que le cœur affligé,
Par le canal des yeux vidant son amertume,
Cherche d'être allégé.

Même quand il advient que la tombe sépare
Ce que nature a joint,
Celui qui ne s'émeut a l'âme d'un barbare,
Ou n'en a du tout point.

Mais d'être inconsolable et dedans sa mémoire
Enfermer un ennui,
N'est-ce pas se haïr pour acquérir la gloire
De bien aimer autrui ?

Priam, qui vit ses fils abattus par Achille,
Dénué de support
Et hors de tout espoir du salut de sa ville,
Reçut du réconfort.

François, quand la Castille, inégale à ses armes,
Lui vola son Dauphin,
Sembla d'un si grand coup devoir jeter des larmes
Qui n'eussent point de fin.

Il les sécha pourtant, et, comme un autre Alcide,
Contre fortune instruit,
Fit qu'à ses ennemis d'un acte si perfide
La honte fut le fruit.

Leur camp, qui la Durance avait presque tarie
De bataillons épais,
Entendant sa constance, eut peur de sa furie,
Et demanda la paix.

De moi déjà deux fois d'une pareille foudre
Je me suis vu perclus ;
Et deux fois la raison m'a si bien fait résoudre,
Qu'il ne m'en souvient plus.

Non qu'il ne me soit grief que la terre possède
Ce qui me fut si cher ;
Mais en un accident qui n'a point de remède
Il n'en faut point chercher.

La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles :
On a beau la prier ;
La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles,
Et nous laisse crier.

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,
Est sujet à ses lois ;
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
N'en défend point nos rois.

De murmurer contre elle et perdre patience
Il est mal à propos ;
Vouloir ce que Dieu veut est la seule science
Qui nous met en repos.